Isabelle du désert by Edmonde Charles-Roux

Auteur:Edmonde Charles-Roux [Charles-Roux, Edmonde]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman historique, Biographie romancée, Littérature française
ISBN: 9782246651093
Google: HfkGFqQSZ0QC
Éditeur: Grasset
Publié: 2003-05-06T22:00:00+00:00

II

Le sang de Morès

« Un grand seigneur, resté par miracle une sorte d'aventurier orgueilleux, presque bravache, avec un goût magnifique de la canaille... »

GEORGES BERNANOS, La Grande Peur des bien-pensants.

1

Isabelle dans les remous de l'Affaire

Longtemps après que le marquis de Morès avait été assassiné, l'Affaire continuait d'empoisonner les relations franco-musulmanes. Ce que l'on appela le massacre, ou le guet-apens, ou encore le piège de El Ouatia, laissa jusque dans les régions désertiques où il avait eu lieu une trace empuantie.

Trois ans, cela faisait déjà trois ans, qu'Antoine Amédée Marie Vincent Manca de Vallombrosa, dixième marquis de Mores et de Montemaggiore, était tombé sous les coups conjugués des Chaamba et des Touaregs. Son cadavre fracassé, percé de balles, avait été retrouvé non loin de Ghadamès, en des territoires qui bénéficiaient encore de frontières assez vagues. Comment la société tunisienne aurait-elle pu s'en désintéresser ? Aussitôt l'assassinat connu, Tunis devint capitale de l'intrigue.

A quelques jours de l'arrivée d'Isabelle, l'un des amis les plus proches d'Ali Abdul Wahab, comme lui fils de notable et qui, en d'autres circonstances, aurait certainement été invité à assister au concert de la Marine, Abdel Aziz Osman avait été avisé qu'un décret du bey l'exilait aux îles Kerkennah. Impliqué... L'affaire Morès... Encore elle ! Le 2 juin 1899, Abdel Aziz Osman se voyait placé sous forte escorte, embarqué sur un rafiot et débarqué à El Kellabine, îlot désolé, planté au large de la côte orientale de la Régence. Le soir où Ali fêtait joyeusement l'arrivée d'Isabelle et qu'ils se retrouvaient à la Marine, « cette promenade du tout-Tunis », ainsi que l'appelait Maupassant869, Abdel Aziz Osman tirait sa deuxième semaine en prison. Mais le jour où Isabelle partait pour son premier voyage dans le Sud constantinois, ce 8 juillet-là, la presse française, pour qui l'affaire Morès était une aubaine et qui n'avait cessé d'en faire ses choux gras, annonçait à grand fracas qu'Abdel Aziz Osman s'était évadé. Il avait acheté le silence du directeur du port, un Italien nommé Mattei, et avec la complicité de trois pêcheurs, il avait mis le cap sur la Tripolitaine. Une tempête en décida autrement. Ils faillirent sombrer et trouvèrent refuge à Djerba. Abdel Aziz, errant sur le rivage, à demi nu, partit à la recherche de quelques vêtements. Le 11 juillet 1899, déguisé en Bédouin, il prit place sur le Djurdjura. Le navire marseillais faisait route sur Tripoli. Là, sous un nouveau déguisement, Abdel Aziz s'était embarqué pour Marseille, seul refuge qui s'offrait au proscrit.

De la Résidence de France à Tunis, René Millet télégraphiait au Quai d'Orsay : « Abdel Aziz s'est évadé des Kerkennah. C'est une solution comme une autre. La seule chose importante est qu'il ne réside pas à Tunis870. » Il n'allait pas y résider de longtemps. Le fils Osman ne retrouva sa patrie qu'après cinq ans d'exil.

Selon ce que l'on pensait du bey, de la France ou encore du marquis de Morès, le jeune Abdel Aziz passait pour une canaille ou pour un héros. Bien que sa famille fût des plus notoires, il avait fait les quatre cents coups.

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